Herboriste en herbes

Là Est mon jardin Ce jardin sans chagrin loin des jardins du monde.

Marie-Françoise Gaucher

1

Sud

J’ai vu vers le sud
Des jardins plantés de cris
Des jardins rouges

Délétères
Des bombes ouvrent
De grands bassins.
Il y flotte
Petits poissons perdus
Des regards aussi écarquillés
Qu’une fleur au supplice.
Corps coquelicots
Butinés
Extatiques
Par des essaims
Migrant d’un bout à l’autre
De l’Afrique.

Mais…
Ne m’attends pas Là.

2

Est

J’ai vu vers l’est
Des jardins plantés de silence.
Des hommes y forcent
D’étranges fleurs femelles
Qui poussent
Sans soleil
Dans des cages barbelées de bleu
D’ocre ou de noir.
Elles jaillissent
Craintives
De la boue des ruelles
De cette poussière qui habille les ruines
Oud
ans la violence
Eblouie
D’un stade…
Jardins mâles d’Afghanistan

Mais…
Ne m’attends pas Là

3

Ouest

8

J’ai vu vers l’ouest
Des jardins plantés d’opulence
Beaux jusqu’à la nausée.
Il y pousse des monstres
Des fleurs toxicomanes
Perfusées à l’enfance.
Aussi seules que des bêtes de concours
Et si sottes, si tristes…
Des fleurs qui ne savent plus qu’elles sont des fleurs
Et qui revendiquent
Encore malgré tout
Leur exclusivité avec le ciel.
Des fleurs qui parlent si fort qu’elles n’entendent plus rien du jardin.

Mais…
Ne m’attends pas Là

4

Nord

J’ai vu vers le nord
Des jardins plantés d’anges
Jardins blancs
Si lents
Qu’il faut des millénaires aux fleurs
Pour dire leurs parfums.
il y neige des âmes
Des sagesses froides
De temps
Des résonances d’univers à naître.
Et tout ça tombe
Comme une bonne nouvelle
Dans l’esprit des bêtes du pôle.

Mais…
Ne m’attends pas Là

5

Ici

J’ai vu
Ici
Des jardins plantés d’indigence
Royaumes moribonds
En voie d’évanouissement.
Jardins de gueux
Où ricane l’ortie
Le riz
La menthe et
Et ce blé toujours vert.
Il pleut sur ces jardins
Des averses de sueur
Un jus aussi acide que le chant de l’oseille
Mains d’ouvriers
Mains jardinières
À planter

9

Modestes
Ces fleurs qui nourrissent le monde

Mais…
Ne m’attends pas Là

6

Là-bas

Et puis…
On me dit que bientôt
Du désert surgira la guerre
Paysagiste du chaos.
Je sais son goût pour les plantes qui tuent
Pour les folies dressées entre rouille et cailloux
Elle va semer ses graines
Dans toutes les poitrines.
Là-bas
Bientôt
Des gazons d’hommes morts
Des parterres d’enfants
Plantés trop serrés pour survivre
La plainte haut perchée
Sur sa tige d’amour
Des femmes au visage de tournesol
Le cœur comme un derviche
Tournoyant…
Dément.
Beaux jardins des misères
Jamais laissés en triches
Où pleuvront
Oranges peut-être
Des agents jardiniers
Trop aveugles
Pour ne faucher que la vénéneuse plante.
Celle qui rampe
Voluptueuse
Dans l’esprit tourbeux de quelques dictateurs
Et d’une brassée d’hommes
Amateurs de fleurs mortes

Mais…
Ne m’attends pas Là

7

Rendez-vous

Alors je pense à ce jardin
A ce jardin de l’homme qui porte un nom d’arbre..
Ses racines ont ligoté mes pas
Mon obsession d’errance.
Son feuillage apaise la soif
Ces cruautés d’horloge qui précipitent les chutes.

Des roses ouvrent leurs arènes
Où bat le pouls de notre amour.
Elles tanguent

10

Pourpres
Jusqu’au soir
Et leur langue
Aussi frivole qu’un parfum
Est la seule que je veuille apprendre.

Est mon jardin
Ce jardin sans chagrin loin des jardins du monde.

C’est là
Que je t’espère
Et c’est là que j’attends.

Marie-Françoise Gaucher

Lauréate du Prix de Poésie des Jardins de Talcy, 2003
Extrait de Partage des jardins secrets

jardins du monde. Marie- Françoise Gaucher
jardins du monde. Marie- Françoise Gaucher

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Marie Chatard, Herboriste